La vision de la belgique vers sa Colonie
LA GUERRE DE 1940-45 VÉCUE À COQUILHATVILLE
(MBANDAKA, R.D. DU CONGO)
par HONORÉ VINCK
Texte publié dans Annales Aequatoria 22(2001)21-101
Introduction
Le petit monde de Coquilhatville en 1940
LA GUERRE DES BLANCS
1. La Page Chrétienne se politise
2. Les instructions des responsables de l'Eglise Catholique
3. La psychose de guerre
3.1. Les défaitistes et les bien-pensants
3.2. Le contexte immédiat
3.3. A bas le roi
3.4. La chasse aux sorcières
3.5. Objection de conscience de Boelaert
4. Les restrictions et les rationnements
LA GUERRE ET LES NOIRS
1. "Nous ne savons rien de la guerre" La discussion dans Le Coq Chante
2. Au caoutchouc citoyens! Un pamphlet et une iconographie subversive
3. C'est pour quand la fin de la guerre ?
Résumé
Cette étude est basée sur de nouveaux matériaux trouvés dans les archives MSC à Borgerhout qui permettent de décrire plus en détails l'atmosphère régnant à Coquilhatville principalement au début de la guerre. Une véritable psychose de guerre s'y installait et quelques personnes sont victimes d'une chasse aux sorcières, menée par les "bien-pensants". Edmond Boelaert en tant qu'objecteur de conscience dut quitter la ville en rélégation à Bokuma. Des Noirs, tenus à l'écart de toute information concernant la guerre, on attendait qu'ils contribuent à "l'effort de guerre" par une nouvelle campagne de caoutchouc. L'art, plus éloquent et plus insidieux que la parole surveillée, permet au Père Jos Moeyens de glisser ses vives protestations dans le pamphlet où l'Aministrateur appelait la population noire au caoutchouc. Cette étude est loin d'être complète. Plusieurs secteurs n'ont pas été touchés ; ils demanderaient un accès à d'autres documents, notamment ceux de l'Administration locale, de la Justice et des militaires.
Mots-clés : Boelaert, Deuxième Guerre mondiale, Effort de guerre, Caoutchouc rouge, Mbandaka, Congo Belge, Colonisation, Coquilhatville
Abstract
The essay is based on new materials from the MSC Archives in Borgerhout, Belgium, and attempts to describe in more details the atmosphere in Coquilhatville in the beginning of the war and to reconstruct the incidents that occupied the white population of this city. A real war psychosis took hold of Coquilhatville, some Europeans becoming victims of an utter witch-hunt by the so-called "right-thinking" segment of the white population. The Africans observed all this tension within the white colonizing population with amazement and asked themselves a great number of questions. However, the administration censored all publications meant for them, preventing any mention of the war in Europe. On the other hand, these same Africans, closed off from any knowledge of the war, were expected to contribute to "the effort of war" through a new and devastating rubber campaign. Art being more eloquent and inconspicuous than speech, Father Jos Moeyens managed to insert a number of images protesting against this new rubber campaign in a rubber propaganda pamphlet from the Administration. Several domains are not touched upon. Other documents, like those of the local administration, the judiciary and the military, still have to be studied in order to complete the picture.
Keywords : Second World War, War chores, Red rubber, Mbandaka, Coquilhatville, Colonisation, Belgian Congo
ABRÉVIATIONS
GH = Gustaaf Hulstaert
EB = Edmond Boelaert
Mon = Edmond Boelaert
VG = Edward Van Goethem
VA = Georges Van Avermaet
JM = Jos Moeyens
BBOM = Biographie Belge d'Outre-Mer, Académie Royale des Sciences d'Outre-Mer, Bruxelles, depuis 1948
INTRODUCTION
La Deuxième Guerre Mondiale a eu un impact notable sur l'Afrique coloniale. La Colonie belge n'y a pas échappé. On y trouve le reflet des changements culturels et conceptuels intervenus en Europe. La démocratie était tombée en discrédit; d'autres formes de gouvernement, plus autoritaires, faisaient désormais partie du paysage. Les esprits étaient fort divisés sur ce genre de questions. En Flandre et en Wallonie, les tendances fascistes avaient gagné un grand nombre d'adhérents. Quand la guerre atteint la Belgique, cette division idéologique jouera pleinement dans l'attitude que certaines autorités et beaucoup de citoyens adoptaient devant l'événement. Quand le roi prend sur lui de signer la capitulation de l'armée belge devant l'Allemagne, la rupture se radicalise. Le Gouvernement veut continuer la guerre au côté de l'Angleterre (et de ses alliés) et se sépare du roi Léopold III. Au Congo, le Gouverneur Général Ryckmans choisit le côté du Gouvernement, établi à Londres.
Les Belges du Congo n'avaient pas de droits politiques (locaux), mais ils n'étaient pas sans avoir d'opinions. Certains les expriment et ils ne se sentent pas obligés de s'aligner sur l'option politique du Gouverneur. Ainsi il se fit que la Belgique n'était plus en guerre effective, mais que la Colonie y était. Comme en Belgique, il y eut au Congo des gens qui s'accommodaient de la défaite. C'étaient des 'défaitistes', car ils doutaient de la victoire finale des Alliés; mais, de ce fait, ils étaient en opposition avec la doctrine officielle. Dans un pays sans démocratie, une telle attitude était risquée, il pouvait y avoir des sanctions. Il fallait penser comme le gouvernement (de Léopoldville), il fallait penser correctement, être "bien-pensant".
Pour le contexte général de la guerre au Congo et pour l'identification des documents officiels qui s'y rapportent, nous renvoyons à l'étude de Benoît Verhaegen, La guerre vécue au Centre Extra-coutumier de Stanleyville. (1)
L'étude qui suit, veut apporter quelques éléments à l'histoire coloniale belge. Les faits relatés sont liés à la situation particulière de Coquilhatville. Mais, ils ne sont que des retombées d'Instructions valables pour toute la Colonie et ils traduisent les réactions typiques des populations blanches et noires devant les mêmes événements et inspirées par les mêmes positions idéologiques et sociales.
Sur base de documents de l'Administration de Coquilhatville, Lufungula Lewono a esquissé dans les Annales Aequatoria de 1988 (2) le sort réservé aux Allemands, aux Autrichiens et aux Italiens séjournant dans la Province de l'Equateur et à Coquilhatville. Ils furent internés ou mis sous surveillance. Une atmosphère de suspicion était ainsi créée envers ces personnes et leurs familles et des tracasseries ne pouvai